Le quotidien Le Monde publie un article intéressant sur les dauphins roses de Hongkong en danger de disparition à cause de l’urbanisation.
Lien de l’article du Monde
Pour les observateurs aguerris des dauphins comme Samuel Hung, docteur en biologie marine et directeur de la Société de protection des [dauphins de Hongkong-], la scène à laquelle il a assisté fin avril avait quelque chose de tristement familier. « J’ai observé pendant plus d’une demi-heure cette femelle tenant dans son rostre (le bec des cétacés) son petit, de toute évidence inanimé, essayant désespérément de lui faire reprendre vie.
Autour, les autres dauphins lui tenaient compagnie mais ne participaient pas à son effort pour maintenir le bébé mort à la surface. »
Depuis dix-huit ans qu’il consacre sa vie aux cétacés de l’estuaire de la rivière des Perles, un vaste triangle d’eaux fluviales et marines délimité par Macao à l’ouest, Guangzhou au nord, et Hongkong à l’est, Samuel Hung a déjà été témoin de ce type de scène une demi-douzaine de fois. Le rituel ressemble, selon les spécialistes, aux premières minutes de la naissance d’un petit dauphin, quand, de la même manière, la mère maintient le bébé en surface, le temps de ses premières respirations. Pourtant, dans les trois récents incidents rapportés en quelques semaines dans les eaux de Hongkong, il s’agissait bien de jeunes dauphins morts.
TOXICITÉ DU LAIT DES FEMELLES
Une scène semblable à celle vue par Samuel Hung a été tournée par des touristes en expédition sur un bateau d’observation de Hong Kong Dolphin watch. La vidéo, postée en ligne, a ému les foules, et a rappelé à quel point la petite colonie de dauphins de Hongkong était menacée. L’une des hypothèses pour expliquer ces morts prématurées serait la toxicité du lait des femelles…
Communément appelé dauphin rose, le dauphin blanc de Chine (Sousa chinensis chinensis) fait partie de la famille des dauphins à bosse de l’Indo-Pacifique. Selon Lindsay Porter, spécialiste de l’espèce, il ne reste que cinq colonies en mer de Chine, dont deux, celles de Taïwan et de Xiamen, compteraient moins de dix bêtes. L’animal, qui devient rose à l’âge adulte, fut la mascotte de la réunification de Hongkong avec la Chine, en 1997. Ce symbole puissant ne l’a pourtant en rien protégé. Depuis 2003, la population de la colonie de Hongkong s’est réduite de moitié, passant de 158 individus en 2003 à 78 en 2011. Et dans le nouveau rapport que le ministère de l’agriculture et des pêches devrait publier en juin, cette tendance, a-t-on appris, s’est aggravée.
Le développement industriel massif de la région, commencé il y a une trentaine d’années, a vu l’apparition de l’une des plus grandes concentrations d’usines de la planète dans la province du Guangdong, lesquelles ont encouragé l’essor de deux des plus grands ports du monde, Hongkong et Shenzhen. Dans les eaux de Hongkong, des polders ont été construits sur plusieurs centaines d’hectares pour accueillir, entre autres, le nouvel aéroport international. Tous ces éléments cumulés, assortis d’une urbanisation massive, ont métamorphosé l’environnement naturel et ont eu un effet dévastateur sur la faune marine de l’estuaire.
Si l’on inclut toutes les villes qui entourent l’estuaire, l’ensemble compte aujourd’hui 120 millions d’habitants et des dizaines de milliers d’usines. Les eaux de la rivière se sont dès lors chargées de polluants de toutes sortes. Les examens post-mortem effectués tant sur des carcasses d’animaux échoués que sur des oiseaux marins, notamment par le Pr Paul Lam de la City University de Hongkong, ont mis en évidence la présence de produits toxiques contaminants à des taux de concentration nocifs. Mercure et autres métaux lourds, arsenic, DDT, composants organochlorés, la liste des produits cancérigènes ou à effets immunodéficitaires trouvés dans les principaux organes des dauphins est longue et sophistiquée.
« DESTRUCTION DE L’HABITAT NATUREL »
D’après les recherches du Pr Lam, les concentrations de polluants identifiés chez les cétacés sont moindres chez les marsouins aptères, seuls autres cétacés des eaux hongkongaises. La colonie de marsouins aptères basée plus au sud du delta, dans des eaux plus proches de l’océan, donc moins densément polluées, pourrait donc s’en tirer moins mal que ses cousins roses. « La pollution est un problème qui s’ajoute à la surpêche, à l’activité maritime intense et à la destruction de l’habitat naturel du dauphin rose » souligne Samuel Hung.
Mauvaise nouvelle pour les derniers dauphins roses survivant dans cet environnement hostile, la phase intense de construction et de développement du delta de la rivière des Perles n’est pas encore près de connaître un ralentissement. L’un des plus grands chantiers de travaux publics du monde est actuellement en cours. Il s’agit de construire, à travers mer et collines, un lien routier de 50 km de long, dont plus de 30 km de pont, pour relier les deux rives du delta : Hongkong à l’est, Zhuhai et Macao à l’ouest.
En outre, il y a un an, le gouvernement de Hongkong a donné un premier accord pour les études de faisabilité de la troisième piste d’aéroport, un projet de plus de 13 milliards d’euros. L’emplacement de l’aéroport, au nord-ouest de l’île de Lantau, fut longtemps l’une des meilleures zones de pêche de l’estuaire, au cœur de l’habitat du dauphin rose. Si le projet est validé, 650 hectares de mer, environ la taille du bois de Boulogne, seront à nouveau confisqués aux dauphins. C’est ce projet-ci que les amis du dauphin rose ont encore quelque espoir d’empêcher en mobilisant l’opinion.
Florence de Changy